L’entrepreneuriat au féminin, mais pas que, l’exemple d’Isabelle

Isabelle Bressac

Ce qui va suivre est la transcription automatique (merci l’IA !) de mon nouvel épisode de Podcast. Le plus simple est encore d’aller l’écouter, de t’abonner au podcast, et de le partager SANS MODERATION ! PS : qui dit intelligence artificielle, dit petites coquilles dans le rendu écrit : ne m’en veux pas, c’est pour voir si tu suis 😉

Isabelle est opticienne, chef d’entreprise assumée d’une TPE de presque 5 salariés. Elle a repris d’ailleurs l’entreprise familiale, dans laquelle elle travaille depuis 35 ans. Isabelle ne se destinait pas à son métier initialement, mais le choix de raison est devenu une évidence et elle s’est plongée les yeux fermés dans ce défi, celui d’être la troisième génération à diriger le magasin. Comme elle va nous l’expliquer, être le numéro 3 est un sacré challenge qui a suscité des crispations, des frustrations, mais aussi des angoisses. Aujourd’hui, elle aborde l’avenir sereinement, avec plus de recul et de préparation. Isabelle est également très investie dans l’entrepreneuriat et le territoire. Présidente de la délégation départementale des femmes chefs d’entreprise, où nous nous sommes rencontrées, élue à la Chambre de commerce et d’industrie, mais aussi conseillère prud’homale. Isabelle est une femme qui se démène pour les causes qui l’importent et ne ménage pas son énergie. Ensemble, nous avons parlé d’entrepreneuriat, de représentativité des femmes, de sacrifice, d’équilibre, mais aussi de la terre qui continuera de tourner, quoi qu’il advienne. Je ne t’en dis pas plus. Et je te laisse découvrir ma conversation avec Isabelle, que je remercie pour sa sincérité.  

Isabelle Bressac : présentation 

Pour le reste de l’audience qui ne te connaît pas, Isabelle, je vais te demander de te présenter. Dis-nous qui tu es, d’où tu viens et ce que tu fais dans la vie.  

Je m’appelle Isabelle Bressac, j’ai 57 ans. Je suis perpignanaise et je suis opticienne. Je suis en magasin d’optique en centre-ville de Perpignan depuis 35 ans. Personnellement, 35 ans.  

Donc justement, ta vie professionnelle plus en détail, tu es dans ce magasin d’optique depuis 35 ans. Pourquoi ? Comment ? Qu’est-ce qui s’est passé ? Comment tu es arrivée là ?  

C’est une entreprise familiale de troisième génération. C’est mon grand-père qui a fondé le magasin, après-guerre, dans les années 40-45. J’ai atterri là, ce n’était… pas du tout ce que je voulais faire en première intention ! Il a fallu choisir un métier après le bac. Moi, j’aurais voulu être au pilote d’avion de ligne. Et malheureusement, mon niveau en mathématiques-physique n’était pas le niveau attendu. À l’époque, il n’y avait pas toutes les écoles maintenant qui donnaient accès beaucoup plus facilement.  

Pilote d’avion ? C’est atypique ! Pourquoi ce projet ?  

Dans ma famille, mon grand-père était pilote, il faisait partie de la réserve à la guerre. Peut-être, ça vient de là… Le milieu aérien m’a toujours attiré. Et puis ça ne s’est pas fait. Donc, il n’y a pas eu le choix, mais il y a eu une autre orientation. Le magasin était là. Mon père était opticien. Il avait reçu le magasin de son père. Je me suis dit, pourquoi pas optique ! Donc je me suis inscrite dans l’école d’optique en région parisienne, j’ai été reçue, ça m’a plu et l’aventure est partie.  

Tu as eu le choix de reprendre le magasin quand même ?  

J’ai eu le choix. J’ai fait mes études à Paris. Après, j’ai dû travailler en région parisienne. Puis quelques années à Lyon ensuite. En jour, papa m’a dit, “écoute, si tu veux venir travailler au magasin, il y a la place, je dois embaucher… Si ça te dit, tu viens !” C’était le moment où moi, je voulais changer un peu. J’étais à Lyon, ça faisait quatre ans que j’étais dans le même magasin. Je voulais changer, j’avais envie de voir d’autres choses. Je lui ai dit, allez, pourquoi pas, redescendre au Bercail. Le soleil me manquait quand même un petit peu. Donc je lui ai dit, pourquoi pas, je reviens à Perpignan. Et puis je suis rentrée, j’ai rencontré mon mari, je me suis mariée, puis voilà. La vie a continué.  

Si je comprends bien, il n’y a pas vraiment eu d’élément déclencheur où tu t’es dit « je veux être opticienne ». C’était un choix raisonnable ?  

C’était un choix raisonnable. Il y avait une entreprise créée, une belle entreprise, qui pourquoi pas la fera perdurer. C’est comme ça que ça s’est fait en fait, parce que je ne savais pas vraiment quoi faire.  

Es-tu l’ainée de ta famille ? 

Non, j’ai une sœur, qui a 18 mois de plus que moi.  

Et qui n’a pas eu la passion de l’optique ?  

Non, oui, elle aurait bien aimé, mais ça ne s’est pas fait. Pour X raisons, ça ne s’est pas fait. On aurait pu faire toutes les deux le même métier, ce n’était pas un souci. Mais elle est partie en compta. La vie quoi !  

Tu ne t’es pas fait de la violence ? Je veux dire, c’est pas du tout une pression familiale de reprendre. Parce que parfois, il y a ce truc, il faut absolument reprendre l’entreprise !  

Pas du tout, vraiment, je ne l’ai jamais ressenti comme tel.  

Cette aspiration pour les avions, tu l’as gardée quand même, cette passion secrète ?  

Je l’ai gardée, oui, je l’ai assouvi. Quand j’étais à Lyon, j’ai fait beaucoup de parachutisme. Déjà, j’ai remis le pied dans un avion, ce que je voulais. Je ne le pilotais pas, mais j’en sortais en sautant ! J’avais ce petit côté d’envie d’adrénaline, disons, peut-être. Le dépassement de soi, déjà, à l’époque. Et après, de nos jours, j’ai repris cette envie. Là, je suis élève pilote-planeur.  

Isabelle Bressac : évolution 

Ok, donc la reprise du magasin s’est faite un petit peu naturellement. Tu as fait une formation optique, mais est-ce que tu as suivi un accompagnement particulier sur la poursuite de l’entreprise ou une formation ?  

Non. C’est ce qui m’a manqué quand même un petit peu, parce que moi, j’étais très technicienne, j’adorais ce que je faisais. J’adorais monter des lunettes, fabriquer des lunettes… J’aimais beaucoup être à la vente, en interaction client… L’opérationnel, en fait. Donc, tant que j’ai pu, je suis restée à l’opérationnel. Sauf qu’à un moment, mon père est parti à la retraite quand même, et il fallait bien reprendre l’entreprise… et il y avait d’autres choses à faire ! En fait, j’ai fait du pilotage d’entreprise, à vue : tant que l’entreprise marchait, je faisais ça, un peu au feeling, je faisais comme mon père faisait. Ça fonctionnait. Ça fonctionnait jusqu’à un moment où ça a un petit peu coincé. Et la conjoncture a changé. La consommation n’était plus la même, la façon de consommer j’entends. On était déjà dans un premier changement de paradigme au niveau de la profession et de la consommation, du commerce, dans notre profession et ailleurs pareils. Et je n’avais pas vraiment anticipé ça. Mon père ne l’avait pas anticipé du tout non plus. Et ça a été 10 ans de galère.  

Et tu penses que si tu avais suivi une formation à la direction d’entreprise ? Tu en avais aussi dans le cursus de l’optique ?  

Il n’y avait pas. Aujourd’hui, ça existe. Et puis, on nous propose d’autres formations complémentaires. C’est dans l’air du temps aujourd’hui. A l’époque, ça n’existait pas du tout. On sortait opticien, on avait fait quelques heures de management et de gestion, et avec ça, on se débrouillait dans notre entreprise. Voilà, soit tu étais entrepreneur, ça marchait, soit tu étais plutôt technicien comme moi, et ça a coincé. Alors, quand même, j’ai eu un accompagnement dans la difficulté, mais je n’ai pas pu anticiper. J’appartiens à un groupement coopératif qui s’appelle Krys Group et par ce biais avec des adhérents, j’ai été accompagnée par les confrères et puis par le groupement aussi, pour essayer de ressortir la tête de l’eau. Finalement, je me suis enfoncée et c’est quand j’étais au fond du trou que je me suis rendue compte que je ne pouvais pas.  

C’est un peu l’encadrement par des pairs ?  

Voilà, exactement, c’est vrai que c’est ça. Après 10 ans de galère pour sortir la tête de l’eau, aujourd’hui, l’entreprise va très bien. Entre-temps, j’ai fait une formation de management de gestion, de management avancé, il y a quatre-cinq ans. C’est un peu tard, pas trop non plus, parce qu’il y a d’autres échéances, il faut anticiper, la transmission de l’entreprise notamment. Je ne vais pas faire l’erreur de transmettre à vue qu’à quelqu’un d’autre. En fait, ce n’est pas forcément un échec, puisqu’en fait, j’ai réussi à m’en sortir. Dans la difficulté, on apprend énormément. Oui, il y a la douleur, mais on enfante dans la douleur !  

Quelle est la principale difficulté pour installer une entreprise dans la durée ?  

C’est vrai que mon papa était un personnage, mon grand-père, n’en parlons pas, c’est déjà quelqu’un de très connu. Il avait quand même une stature et une aura très reconnue. Mon père l’avait aussi, de son père, pareil. C’était des gens… qu’on voyait beaucoup et qui rayonnaient énormément. Donc, reprendre derrière ça… en fait, je ne me suis pas posé beaucoup de questions ! Même pas assez, à l’occurrence. C’est toujours pareil, ça s’est fait naturellement et ça s’est bien fait. Là, je crois que j’ai bien repris la personnalité. J’ai su transmettre, avoir le suivi de la personnalité. 

Pour perdurer, je rejoins ce que je t’ai dit avant, c’est très bien d’avoir une personnalité, de se sentir bien avec ses clients, mais il faut se former, il faut anticiper, regarder les chiffres, se poser pour faire du management et de la gestion. Pour s’installer dans la durée, il faut vraiment être là-dedans, surtout de nos jours. Il faut se réserver des heures de pilotage d’entreprise, pour avoir une visibilité. Il ne faut pas vivre au jour le jour, ce n’est plus possible. Il faut avoir une vraie stratégie, une vision stratégique.  Moi, j’ai la chance d’avoir une vision stratégique, et un appuie avec Krys Groupe. Toutes les réflexions sont beaucoup au sein de ce groupe. Après, je l’aménage en fonction de ma localisation, des objectifs, de mon endroit, de la concurrence locale… Mais on a quand même des grandes lignes. Et on a des indicateurs qui nous sont délivrés régulièrement par le groupement. Donc, on est quand même très aidés.  

Être opticien indépendant, de nos jours, c’est encore plus de travail, c’est difficile. La conjoncture est quand même difficile. Et moi, je suis un petit magasin, je suis au four au moulin ! Je dois faire du pilotage d’entreprise, mais je suis aussi en front office devant mes clients, je dois manager mes équipes… Je suis trop petite pour déléguer tout ça. Mes confrères qui ont plusieurs magasins, ne font que ça, du pilotage. De temps en temps, ils affrontent le terrain, pour pouvoir garder la température, mais ils ont des directeurs de magasins, des managers, des collaborateurs… Et quand tu es petit, comme moi, tu fais tout. C’est super chronophage, super difficile. Donc, bon, c’est comme ça. Moi, je ne peux pas grossir plus. Là, j’ai mes 80 mètres carrés, moi compris nous sommes 4,5 et je fais du 50 heures par semaine.  

C’est ça l’envers du décor quand tu es à la tête d’une TPE, une petite entreprise parce que le budget n’est pas là pour pouvoir déléguer certaines missions.  

Voilà, c’est la taille un peu critique. On ne peut pas faire plus, on ne peut pas engager plus. Et puis, avoir un directeur de magasin, les financiers, le partage. J’ai un chiffre d’affaires vraiment limite pour ne pas basculer.  

Et le fait que tu sois une femme, est-ce que ça a été un sujet, justement, dans la transmission de l’entreprise à l’origine ?  

Je ne me suis pas non plus posée la question du tout. Pour moi, ce n’était pas un sujet.  

Ton père ne se l’est pas posé non plus ?  

Non, du tout. Son père n’avait que du personnel féminin. Il était avant-gardiste, parce qu’à son époque, le métier n’était pas féminisé comme aujourd’hui. À l’époque, c’était le travail d’homme. Parce qu’il y avait quand même beaucoup de travail manuel, du meulage de verre, on respirait quand même de la vapeur de verre, etc. De nos jours, ce n’est plus ça du tout. C’est féminisé, ce milieu est confortable, on a des horaires quand même flexibles. On peut tout allier, en fait, dans le métier. Mais malgré tout, je trouve que même de nos jours, dans les magasins c’est très féminin, mais dès qu’on va dans les têtes, dans le groupement, dans les comités de direction, dans les CODIR, c’est masculin. On retrouve ce ratio de 30% de femmes et 70% d’hommes. Il y a encore du boulot !

Tu me fais une transition parfaite. Tu es très impliquée dans la cause des femmes d’entrepreneuriat. Toi et moi, on se connaît grâce à l’association des femmes chefs d’entreprise. Donc la moitié de la population française est une femme. La moitié de la population active est une femme. Et on se retrouve quand même toujours avec des disparités. Plus on grimpe dans la chaîne alimentaire… les écarts salariaux, n’en parlons pas… Comment expliques-tu ce phénomène de si peu de représentativité des femmes arrivées au poste de direction ?  

Il y a toujours un plafond de verre. Il est peut-être un petit peu plus haut, mais il existe toujours. Il monte, mais il est encore là. Alors comment expliquer ça ? Pour moi, il y a quand même la notion d’équilibre vie privée, vie professionnelle, à mon époque du moins. Je pense qu’aujourd’hui, c’est un petit peu différent. Les hommes s’impliquent beaucoup plus, avec les enfants, l’éducation, la gestion du foyer. Je pense cependant qu’à l’époque, c’était encore une affaire de femmes. Je pense que ça m’a coûté mon mariage, en partie. Il fallait tout mener de front. J’ai deux enfants, deux grandes-filles de 28 et 25 ans, qui ont grandi avec le magasin, dans le commerce. Qui ne voulaient pas du tout rentrer dans le commerce d’ailleurs, mais elles ont toutes les deux fait une école de commerce, pour être en direction. Elles ne reprendront pas le magasin. Alors à l’époque, je ne les ai pas poussées pour. Je n’étais pas assez visionnaire, mais maintenant, si elle devait être opticienne, ça me serait plus confortable, car pour recruter, c’est compliqué ! Finalement, c’est moi qui vais fermer la boutique.  

Pour en revenir au plafond de verre… Effectivement, moi je ne l’ai pas ressenti. Tant qu’on est dans son magasin, mais après quand on veut prendre des postes de direction, là il faut un peu plus bouger les coudes.  

Tu penses que c’est lié à quoi ? Ce plafond de verre ? 

Je pense que c’est un syndrome de l’imposteur. On l’a toutes ! A mon sens c’est culturel, les hommes l’ont moins… L’homme est fait pour être fort, et les femmes à rester dans la réserve !. Alors de nos jours ça va mieux, mais quand on arrive au poste de direction, on est regardé, les femmes ont fait peur encore.  

Ou peut-être qu’on n’ose pas aussi prendre la place à laquelle on pourrait aspirer… 

Sans doute. J’ai l’exemple d’une directrice de banque, qui me disait, nouvellement installée, prenant la suite d’un homme, qui a trouvé que dans la région, c’était très ancré, cette différence homme-femme et ce regard qu’on a sur les femmes, qu’on n’est pas capable. C’est une région latine… C’est vrai que ça peut être du combat et fatigant. C’est parce que c’est ancré dans notre histoire.  

On espère que les prochaines générations corrigeront les défauts des précédentes ?  

Je pense que ça va venir. Ce ne sera pas du jour au lendemain. Je pense que les prochaines générations auront les bénéfices. Parce que les hommes sont plus impliqués, et c’est bien, ça va dans le bon sens !  

Tu parlais un petit peu des sacrifices : en tant que femme, sacrifie-t-on plus de choses qu’un homme pour diriger une entreprise ?  

Personnellement, j’ai sacrifié mon entrepreneuriat, mon désir d’entrepreneuriat. Je n’arrivais pas à mener de front une entreprise un petit peu à relever, et les enfants. Et je ne me voyais pas en avoir d’autres dans ce contexte. Donc oui, j’ai sacrifié pour les enfants, pour l’éducation de mes enfants. J’ai sacrifié ça.  

Sinon tu penses que tu aurais continué à multiplier ?  

J’aurais au moins un deuxième point de vente. Ça ne s’est pas fait, et maintenant je n’irai pas le chercher. Si ça se présentait, j’y réfléchirai quand-même, mais je ne le provoquerai pas, je n’irai pas chercher l’opportunité.  Mais c’est vrai qu’à l’époque, j’aurais eu du soutien, oui, j’aurais monté un autre point de vente. Pour créer, pour avoir l’expérience d’une création. Je pense que c’est deux challenges totalement différents, donc pour avoir cette expérience-là.  

Justement, tu en parlais tout à l’heure, quelle a été ta plus grosse erreur ? Et qu’en as-tu retenu ? 

Ma grosse erreur, ça a été de reprendre et de naviguer à vue sans trop regarder les chiffres. En fait, quand je suis rentrée au magasin, au lieu d’aller essayer de gérer, d’apprendre la gestion d’une entreprise, regarder les bilans, comment on gère, quels sont les indicateurs qu’il faut regarder mensuellement, comment avoir une vision à 5 ans, à 10 ans, que mon père aurait pu me transmettre… Je n’ai pas regardé. Et quand j’ai repris l’entreprise, il a fallu que je porte à bout de bras en instant T l’entreprise et pas regarder plus loin. Ce qui fait que j’ai dû jouer les pompiers ensuite ! Donc la plus grosse erreur, ça a été de revenir au magasin, de vivre tranquillou !  

Et c’est à ce moment-là que tu as rejoint la coopérative ?  

Non, c’est mon grand-père qui avait déjà engagé cette démarche. C’était Bressac Optique, car Krys Groupe n’avait pas l’ampleur d’aujourd’hui. Au début un regroupement d’opticiens. Ils étaient une cinquantaine, et faisaient du commerce ensemble. C’était une coopérative. Et là, ça a grossi, grossi. Là, on est à plus de 2200 points de vente et plus de 3 400 collaborateurs. Et je me suis appuyée dessus. Heureusement que je les ai, oui.  

Tu t’es retrouvée un petit peu dans la tempête, c’était quoi ? Fin des années 80, 90 ?  

Mon père est parti en 2000, donc début des années 2000. J’en ai eu pour 10 ans à remonter, à faire survivre l’entreprise.  

“Survivre”, c’est fort comme un mot.  

Oui, nous survivons, tout à fait. Avant, on rentrait chez l’opticien, on faisait les lunettes… Pas de discussion. Et puis, il y a eu multiplications des points de vente et beaucoup de concurrence. Et on a commencé à faire des devis, qu’on ne validait pas forcément. Et là, c’était notre façon de vendre. Donc, il a fallu se remettre en question. Ce n’était pas acquis immédiatement. 

Et vous êtes venus dans de vraies relations de commerce ?  

Oui, des relations de commerce, avec tout un travail d’attractivité et de compétitivité. Et après il y a eu l’informatique, on a essuyé les réseaux de soins, les réseaux de soins qui existent toujours, mais maintenant on sait travailler ensemble… Avoir des difficultés, ça fait grandir. Dans la douleur, ça fait grandir. Ce qu’on disait tout à l’heure.  

Pour enchaîner justement sur quelque chose d’optimiste, quelle a été ta plus grande réussite et quel impact cela a-t-il sur ton quotidien ?  

Ma plus grande réussite, justement, ça a été de ne pas être la troisième génération qui fait couler. On dit, « la première est créée, la deuxième, elle fait fructifier, la troisième, plie boutique » ! C’est un adage. 

Ah oui, mais c’est l’angoisse, en fait ! 

C’est un peu ce qui m’a fait tenir aussi. Et peut-être que finalement, c’était ma grande réussite de maintenir le magasin, de faire perdurer l’entreprise. Pour moi, c’est une grande réussite. Et puis de faire fructifier, rester avec pignon sur rue, on sait toujours qui je suis, je suis toujours au même endroit… Ça, c’était une réussite.  Et après, je me pose la question, est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu que je laisse péricliter, et repartir à zéro sur autre chose. Je ne le saurais jamais.  

Qu’est-ce qui a été le plus difficile à concilier pour mener à bien ton activité ? 

Ma vie de famille. Je l’ai dit, ça m’a coûté en partie mon mariage. En partie, peut-être pas complètement, mais il a fallu que je sois beaucoup, beaucoup, beaucoup dans l’entreprise. En plus, j’avais des enfants, j’avais la chance d’avoir ma mère et ma belle-mère, qui étaient super, donc on a pu pallier une garde. Ça, c’est un souci de moins aussi. Dans le commerce, ce qui est difficile, c’est de travailler le samedi. Quand je disais, moi, je suis une petite entreprise, je travaille le samedi et demander de me libérer ce jour-là, à l’époque, c’était inconcevable. Aujourd’hui, ce serait concevable. Donc, voilà, ça a été très compliqué… Les activités du mercredi, du samedi, les anniversaires… J’ai eu la chance d’avoir mon père à un certain moment. Et après, quand il a pris la retraite, il a fallu que je sois beaucoup plus là. Et ça a coincé pour ma vie. Donc ça serait à refaire… De nos jours, ce serait plus simple. Et puis, j’ai pris du recul. Avant, il était inconcevable que je ne sois pas au magasin tout le temps. 

Et oui, Audrey la Terre aurait pu s’arrêter de tourner, évidemment ! 

Le Covid m’a fait prendre beaucoup de recul aussi.  

Et puis peut-être que tu as une équipe aussi plus solide aujourd’hui.  

Oui, je fais absolument confiance. et surtout la terre ne s’arrêtera pas de tourner, comme tu dis. Les jeunes, mes collaboratrices, ne travaillent pas du tout, comme je travaille et moi. Elles n’ont pas du tout le même état d’esprit. Elles travaillent sur quatre jours. Pour moi, c’était inenvisageable. Le commerce, c’était rentrer dans les ordres ! Et quand on est chef d’entreprise, on se met la pression soi-même.  

Et petite question, ton père, il a réussi a couper net à la retraite ? Ou tu as dû le mettre dehors ? 

Non. Il a coupé net. C’était difficile, mais il en avait assez. Ce n’était pas du tout le même commerce qu’il avait connu. Choc générationnel, l’informatique est arrivée, même s’il était très impliqué sur ces sujets.  

Et il ne l’a pas mal vécu ?  

Du tout. Il est resté 5 ans sans venir au magasin ! Il est revenu parce que j’avais besoin de lui pour le back-office. Il devait me faire un petit remplacement comptable, et ça dure depuis. D’ailleurs, je me dis, papa a quand même un certain âge, et il va falloir que je songe à une autre solution… Anticipation… Mais je n’ai pas le temps de faire ce qu’il faut.  

Isabelle Bressac : inspiration 

Tu parles de transmission, mais tu es encore jeune ! Quand la retraite ? 

Taux plein dans 10 ans, mais je peux la prendre avant, pas à taux plein. Je me dis que dans 5-6 ans je pourrais la prendre. Donc là c’est le moment quand même… C’est le virage où on commence à préparer les choses, mais plus ça approche et moins c’est simple !  Mon idéal ce serait transmettre, vendre ou garder une gérance, travailler deux jours par semaine, deux ou trois jours par semaine, d’entretenir un petit peu à la relationnel… On verra ! 

Aujourd’hui, est-ce que tu te sens à ta juste place, Isabelle ?  

Oui. Et je me sens à ma juste place grâce aussi à l’association des Femmes Chefs d’Entreprises. Oui, parce que le syndrome de l’imposteur… Là, j’ai pris conscience du syndrome ! Je ne me suis pas investie ailleurs que dans mon magasin, et quand on fait un pas de côté, ça nous fait faire un focus, d’aller échanger avec d’autres personnes, même hors profession. Là, on se rend compte qu’on a un certain nombre de choses… Pourquoi je n’ai pas été entrepreneur, je n’ai pas aidé à être entrepreneur. Tout ça, on l’analyse… Donc si ça se fait refaire, je ne ferai pas pareil. Donc je me sens à ma juste place, grâce aussi à l’association, grâce aussi à mon engagement CCI et conseillère prud’hommal.  

Oui, tu es élue à la chambre de commerce et au prud’hommes.  

Je suis élue à la chambre de commerce et je suis juge prud’hommale aussi. Et ça, c’est mon côté très droit, j’aime bien tout ce qui est carré, et comprendre les choses. Mettre l’humain au centre. Parce que l’humain est compliqué. Mais avec l’expérience, avec l’âge, on appréhende beaucoup plus facilement. Et pour l’avenir, moi, je crois en l’humain. On se rend compte de nos jours, il faut que le contact soit là, soit quand même présent. C’est vraiment important. C’est l’avenir, on aura des robots partout, qui feront tout le côté technique et on sera là pour échanger. Il faut échanger, découvrir les besoins… Et c’est en parlant beaucoup qu’on arrive bien à faire une bonne adaptation. Une lunette, ce n’est pas une monture de verre. Ce sera l’humain, la valeur ajoutée, je pense. Et c’est ça qui me plaît, qui m’a beaucoup plu. Il y en avait beaucoup quand je suis rentrée dans la profession. Ça, c’est un peu tassé avec l’informatique. Et on y revient à fond. Il faut aimer les gens en fait. Pour être commerçant, il faut aimer les gens. Si tu n’aimes pas les gens, tu fais autre chose.  

Quelle est ton héroïne dans l’Histoire et pourquoi ?  

Alors pour moi, ça aurait été une guerrière. Jeanne d’Arc ? Pourquoi pas ? Ça aurait été une guerrière, je ne peux pas te dire de nom, mais c’est quelqu’un quand même qui va bien au combat. Qui s’est battu pour ses convictions.  

Quelle faute t’inspire le plus d’indulgence ?  

L’erreur involontaire, quelle qu’elle soit, on apprend de son erreur. 

As-tu un mantra, une devise, un dicton ou une citation que tu voudrais nous partager et qui te motive ?  

Un mantra… “tu en es capable et tu fais les choses bien, pas de pression”.  

Que dirais-tu à la jeune génération de femmes pour les encourager à se lancer dans l’entrepreneuriat, justement ?  

Allez-y foncez et surtout, plantez-vous ! N’ayez pas peur de vous planter ! Mais même, presque à le souhaiter. C’est vrai qu’on en rit, mais moi, l’éducation fait qu’il était hors de question que je trébuche. Ne serait-ce que trébucher. Pas droit à l’erreur ! Alors, ça m’a poursuivi toute ma vie. Et pourtant je n’ai pas eu de pression, je pense que si je m’étais plantée, je n’aurais pas eu mon père sur le dos. Alors les jeunes, allez-y, entreprenez. Si vous vous plantez, ce n’est pas grave, vous apprendrez vos erreurs et vous montrerez quelque chose d’encore plus grand, d’encore plus majestueux. Donc allez-y, la terre continuera de tourner ! Le système a changé. Dans l’entrepreneuriat féminin, maintenant, de nos jours, allez-y. Faites-vous accompagner aussi, avoir un mentor, aller se renseigner une fois qu’on a testé, faire avec conscience. 

Quelle est la chanson qui te motive quand tu as le moral dans les chaussettes et peux-tu nous la chanter ? 

Chanter certainement pas ! C’est peut-être un prochain travail sur moi, prendre des cours de chant, car je chante extrêmement faux, mais on m’a dit qu’il y a un ton pour toutes les voix… En attendant je dirai “We are the champions” de Queen.

 

La Cheftaine, le blog dédié aux femmes du 21ème siècle

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