Nous revoilà pour dresser le portrait d’une femme entreprenante, qui en inspirera d’autres. Alors oui, j’ai encore cédé aux sirènes du titre racoleur… Mais ne t’arrête pas à ça !
Après t’avoir présenté des personnalités issues de mes passions du moment, que ce soit dans la création de site web, le meublé de tourisme, le mariage, ou encore dans le monde de l’écriture et de l’édition, j’ai décidé de revenir à mon cœur de métier, le secteur médico-social.
Alors non, ne raccroche pas trop vite, c’est un secteur qui peut s’avérer parfaitement innovant, glamour, et tourné vers l’avenir ! Dans ces perspectives, certains ont décidé de bouleverser le modèle managérial, qui est parfois bien plus vieux que nos bénéficiaires âgées… et de secouer le cocotier ! Parmi eux, il y a Cathy Meunier.
Cathy répond parfaitement à cette description : c’est une nana qui veut secouer le cocotier ! Refusant de rentrer dans un moule, refusant de reproduire un schéma obsolète, refusant d’aller à l’encontre de ses valeurs… Et bien elle a tout bonnement décidé de sauver les vieux ! D’abord en créant un structure d’aide à domicile atypique, à son image, et ensuite, en rejoignant le mouvement des équipes autonomes. C’est dans ce cadre là que nous nous sommes rencontrées. Laisse-moi te la présenter !
CATHY MEUNIER : PRÉSENTATION
Présente-toi : dis nous qui tu es, d’où tu viens et ce que tu fais ?
Je m’appelle Cathy Meunier, je viens de Limoges, dont je suis originaire, et où je vis. J’ai créé une entreprise d’aide à domicile, une sorte d’EHPAD hors les murs, depuis maintenant 11 ans, qui s’appelle ADN87.
NDLR définitions pratiques :
- EHPAD = Etablissement d’Hébergement pour Personnes Agées Dépendantes, ce que nous qualifions dans le langage courant de “maison de retraite”
- EHPAD hors les murs = dispositif permettant aux personnes âgées en situation de dépendance, de bénéficier des offres et des technologies disponibles en EHPAD, directement à domicile
Peux-tu en dire un peu plus sur ta vie professionnelle ? Que faisais-tu dans la vie avant ça ?
Je dirai que j’ai un parcours… atypique ! Au commencement, je ne me destinais pas du tout à l’entrepreneuriat, et je ne me voyais pas devenir chef d’entreprise. J’étais une cancre à l’école ! J’ai repiqué ma sixième, puis ma cinquième… Je n’ai pas le bac… Je me suis fait exclure de l’école… Enfin, une horreur sur le papier !
J’ai commencé dans la vie active en tant qu’auxiliaire de vie. Ensuite, j’ai travaillé dans une boîte d’ambulance et après, 10 ans à Paris dans les ambulances privées pour les SAMU d’île de France. Donc j’ai fait 10 ans de SAMU à Paris, la nuit. J’ai d’ailleurs rencontré mon mari là-bas.
Nous sommes revenus ensemble nous installer du côté de Limoges, et je me suis alors lancée dans une formation d’aide-soignante, parce que je n’avais que quelques modules à passer. A 35 ans je n’aimais toujours pas l’école, donc pas simple mon idée… Je venais d’avoir ma fille, et je voulais privilégier ma fille de famille. J’imaginais exercer un boulot pépère, où il n’y avait pas beaucoup de formation à faire, qui me permettrait de m’occuper de ma fille, avec des horaires réguliers. La vie de Madame tout le monde quoi. Et tout ne s’est pas tout à fait passé comme je le prévoyais…
J’ai fait ma formation d’aide-soignante, au cours de laquelle on doit faire un stage en EHPAD. L’angoisse pour moi ! Parce que dans mes croyances de l’époque, les vieux, je les imaginais chieurs, tu sais ceux qui t’enquiquinent dans le bus, au supermarché, et compagnie. Bref, je n’aimais pas vraiment le public âgé, je ne m’y projetais pas du tout.
Donc, je pars en stage, je me dis que ça va être horrible… Mais bon, il faut y passer pour valider la formation, donc je serre les dents, et j’y vais. Je fais mon premier jour à l’EHPAD, et là, le drame, je m’embrouille déjà avec ma tutrice. Elle doit avoir 20 ans, moi je n’en avais pas loin de 15 de plus… Pour situer le contexte de l’engueulade, nous rentrons dans la chambre d’une dame nonagénaire, il est 6h du matin, et la nana, elle allume toutes les lumières sans ménagement “Il est l’heure de se réveiller”!
Lumière pleine poire, 6 heures du mat’, petite dame de 96 ans qui dort paisiblement, aucun ménagement. Ambiance.
On commence à faire la toilette, la jeune femme ne la calcule même pas, elle est en mode robot. Moi, je lave les pieds de cette dame, et ma tutrice m’interroge vivement sur mon action, et me dit vertement que nous n’avons pas le temps pour ça…
Bref, premier jour compliqué… Je ne veux pas faire le procès des EHPAD, ni tirer sur l’ambulance, mais ce stage a totalement changé ma vision de la vieillesse, et de la prise en charge des personnes âgées. Ce n’étaient clairement pas les vieux tels que je me les représentais ! Les pensionnaires n’arrêtaient pas de me parler de leur domicile. Ils sont en situation d’attente, ils sont tristes, déracinés de chez eux…
C’étaient peut-être des vieux chiants avant d’intégrer l’établissement, ça n’empêche pas, mais j’ai eu beaucoup d’empathie, et clairement, je ne souhaitais pas cet avenir pour ma mère. Plus je discutais avec eux, plus je m’interrogeais d’ailleurs : ces personnes ont connu la guerre, ont eu une vie beaucoup plus difficile que la nôtre, et nous qu’est-ce qu’on fait ? On les parque dans un lieu, réveil en fanfare à 6 heures, je ne te lave pas les pieds, et à 18 heures, c’est déshabillé et couché. Bah non, ce n’est pas possible ! Ce ne sont pas mes valeurs ! Ce sont des personnes, des êtres humains, et ils méritent le respect.
Au bout de 3 jours de stage j’ai dit à mon mari que je ne pourrais jamais être soignante entre EHPAD, et que j’allais tout faire pour que ma mère n’y aille jamais. Je voulais créer quelque chose pour que les gens n’y aillent pas. Je fais des généralités bien-sûr, mais à ce moment-là, c’était mon ressenti, mon vécu.
J’ai quand même terminé ma formation, tant bien que mal, et je me suis lancée dans ce projet d’alternative à l’EHPAD.
CATHY MEUNIER : EVOLUTION
Et donc comment t’y es-tu prise ?
Je suis partie feuille blanche, parce que moi je n’y connaissais rien dans l’aide à domicile, et je me suis interrogée sur le modèle de l’EHPAD et ses possibilités d’application au domicile.
En établissement, il y a des gens qui viennent matin, midi, soir, pour le coucher, qui font des rondes de nuit, etc. Je me suis dit que dans l’offre d’aide à domicile existante, la journée, il y a ce qu’il faut. Par exemple à Limoges, il y a plein de boites qui existent, mais la nuit c’est le no man’s land, soit des nuits en assistance complète, et cela coûte très cher, soit rien du tout ! L’idée de départ vient de ce constat.
J’ai alors décidé de proposer une garde itinérante, avec plusieurs passages possibles dans la nuit, facturé 10 € le passage. C’est donc comme à l’EHPAD, le même système de rondes, sauf que si les gens veulent se coucher dans 23 heures, et bien on va les coucher à 23h00 !
Je suis donc allée rencontrer mon banquier : “Bonjour Monsieur le Banquier, je voudrais créer ma société, parce que je voudrais sauver les vieux ! Je ne veux pas que les vieux aillent à l’EHPAD, j’ai donc besoin d’un petit peu d’argent”. Inutile de te dire que l’accueil n’a pas été très réjouis… Il m’a ri au nez, et je me souviens qu’il m’a demandé si je voulais créer une SARL ou une EURL. Je ne savais même pas de quoi il me parlait, moi je voulais juste sauver nos anciens !
Ce fou rire quand j’y repense, nous étions totalement en décalage lui et moi.
Je suis donc partie suivre une formation de trois mois à la chambre du commerce, pour apprendre à créer et diriger une entreprise, avec un peu de juridique, de comptabilité, de commercial, apprendre à faire un business plan, etc. Un truc assez light, mais au moins, quand je suis retournée voir un autre banquier, j’avais l’air d’être plus crédible !
J’ai démarré avec 6 000 € quand j’ai créé l’entreprise, donc avec rien en fait, c’est une petite mise de départ. L’entreprise s’appelle ADN87, qui veut dire Assistance De Nuit dans le département 87. Simple, clair et précis.
Je ne suis pas vraiment commerciale, donc je galérais beaucoup au départ… Je me rappelle mon premier chiffre d’affaires, il était de 45 € ! Le deuxième a doublé à 90 €, et ça a poussé tout doucement… Donc un peu la galère au début, le temps que ça se mette en place et que le bouche à oreille fonctionne.
Ensuite, c’est parti crescendo, jusqu’à ne plus pouvoir poser le pied à terre. Parce que les gens qui avaient besoin d’aide la nuit, ils en avaient aussi besoin la journée, et j’ai commencé à diversifier l’offre, en gardant cette idée de courtes missions, pour répondre au maximum de besoins de mes bénéficiaires.
Ce qui fait qu’entre les passages des infirmiers et les nôtres, les personnes avaient des visites par intermittence, dans un budget maitrisé, et étaient pris en charge convenablement à domicile, jour et nuit.
La première année complète, j’ai fait 40 000 € de chiffre d’affaires, la seconde c’est monté à 210 000 €, la troisième à 400 000 €… Et aujourd’hui, 11 ans plus tard, ADN87 prend en charge 1 000 personnes, grâce à 130 collaborateurs, avec un chiffre d’affaires avoisinant les 3,5 millions d’euros. Nous avons une antenne à Limoges, et une antenne à Saint-Julien-Le-Petit, et nous sommes à présent labellisé Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS).
Donc au début, c’était toi toute seule sur le terrain, si je comprends bien ? Et maintenant y vas-tu encore ?
Oui. Je suis soignante à la base, c’est ma vocation première finalement.
Aujourd’hui, je retourne de temps en temps sur le terrain, pour réaliser des interventions, car dans nos métiers de l’aide à la personne et du médico-social, on manque parfois de bras… Mais nos bénéficiaires ont, eux, les mêmes besoins tous les jours ! Donc oui, je vais encore sur le terrain en cas de besoin, et ça me plait toujours autant. Et mes petits vieux me manquent !
Donc finalement c’est ça la genèse d’ADN87, un peu d’amour ?!
Je crois que tout part d’une histoire personnelle.
Lorsque j’ai perdu mon papa, j’avais 20 ans. Au-delà du choc, il ne me restait donc plus que ma maman. Il y a un adage qui dit “les présents sont des présents”, c’est à dire que pour les morts, on ne peut plus rien faire, mais pour les vivants, les personnes qui sont encore là, il faut agir.
J’ai effectivement voulu agir pour ma mère, pour qu’elle puisse vieillir selon son souhait. Et j’ai dupliqué cette idée pour toute personne qui a l’envie de bien vieillir à son domicile. La notion de choix de vie est importante, vieillir comme on le choisit.
Je présente d’ailleurs un historique illustré d’ADN87 aux nouveaux collaborateurs, où je reprends un tout ce récit.
Les équipes d’auxiliaires de vie, et les bénéficiaires d’ailleurs, je pense qu’on a tous une histoire personnelle. On ne se retrouve pas là, ensemble, par hasard. Ce n’est pas pour rien qu’on va dans ces métiers-là, et c’est aussi grâce à cette histoire que le lien se créé avec les personnes.
Toutes les personnes qui exercent un métier du soin, de l’aide à autrui, ce n’est pas pour rien qu’elles sont là. Ce n’est pas pour la reconnaissance de la société, car il n’y en a pas… Ce n’est pas pour le salaire non plus, car ces métiers sont mal valorisés… Mais ils/elles font ces métiers parce qu’ils/elles partagent les mêmes valeurs.
Chez nous, à ADN, on se retrouver autour de nos valeurs avec les équipes, elles sont très fortes, car tout le monde connait l’histoire et la genèse de l’entreprise, et adhère à ce projet, à cette mission, nous sommes tous là pour la même chose.
C’est ce que j’inculque à mes équipes “avec du déjà-là, on va faire du jamais vu” ! L’aide à domicile, je ne l’ai pas inventé, elle était déjà là. En revanche, faire des couchers à 23 heures, qui ne coûte pas une blinde à la personne, ça c’était inédit sur mon territoire !
Également, chez ADN, les bénéficiaires ont accès à un système de téléassistance, et quand ils nous appellent, on s’y déplace, de jour comme de nuit. Nous avons notre propre organisation, performante, et c’était aussi du jamais vu.
Je ne suis pas comptable. Quand je me suis créée, j’ai toujours vu le meilleur pour les bénéficiaires, je n’ai jamais pensé à l’argent et la rentabilité, j’ai appliqué des mesures qui faisaient sens pour moi, et ça a fonctionné. Ce n’est que depuis cette année que je me suis structurée, et j’ai même des tableaux de bord et de suivi à présent, pour te dire, il m’aura fallu une décennie !
Avec les ADNiens et les ADNiennes, nous défendons nos valeurs : humanisme, intégrité, solidarité, responsabilité, réciprocité. Nous revendiquons l’excellence de l’aide à domicile, parce que c’est ce en quoi nous croyons.
Merci du partage de ton univers et tes valeurs. Toi et moi, nous nous sommes rencontrées dans le cadre de la présentation des équipes autonomes. Peux-tu présenter et définir le concept des équipes autonomes à quelqu’un de totalement étranger à ton secteur d’activité ?
Pour commencer, moi je n’aime pas trop ce terme parce que ça fait flipper tout le monde ! On peut y mettre tout et n’importe quoi… ça peut laisser entendre qu’on abandonne les auxiliaires de vie avec leur débrouillardise, ils/elles sont autonomes et toi manager tu ne fais plus rien … Bref, le terme me semble peu parlant et peu représentatif du quotidien. Je préfère donc parler d’équipes solidaires, c’est plus logique.
Les organisations traditionnelles sont souvent en mode pyramidal : en haut il y a le patron, peu importe le nom de la fonction, et ensuite tu as les différentes strates d’encadrement, de managers, de responsables, de gens intermédiaires… Et tout en-dessous, il y a les exécutants, les auxiliaires de vie dans mon secteur.
Qui créé la richesse de la structure ? Ce sont les exécutants. Chez ADN, ce sont les auxiliaires de vie qui créent la richesse de l’entreprise. Donc cette pyramide, il faut l’inverser, et placer les exécutants en haut. Les fonctions support doivent ensuite permettre aux auxiliaires de vie, qui génèrent la richesse, de bien effectuer leur travail.
Donc si tu veux, dans les organisations classiques, l’information est descendante. On dit à une auxiliaire de vie “tu vas chez Madame Untel, tu vas y passer une demi-heure, tu vas faire telle mission, après tu vas chez Madame Machin, tu mettras 5 minutes pour y aller, et après chez Monsieur Truc” etc. L’auxiliaire de vie connait son travail, elle le fait tous les jours, elle connait les besoins des personnes qu’elle accompagne, elle n’a pas d’intérêt à ce que toi, depuis ton bureau tu lui dises quoi faire ! Pourquoi l’encadrant régenterait intégralement le quotidien de sa subalterne ? Parce qu’il a fait plus d’études ? Parce qu’il est plus intelligent ? Mais au final, la relation avec le bénéficiaire, il ne la maitrise pas, il ne la connait pas, alors que l’auxiliaire oui. Il faut donner aux agents de terrain la possibilité de prendre la main, et d’avoir une information montante.
Il s’agit juste de remettre l’Église au milieu du village, pour que les auxiliaires de vie participent à l’élaboration de leur planning, aux entretiens d’embauche, etc. Qui de mieux qu’un membre de l’équipe concernée pour donner son avis à l’embauche de son futur collègue ? Je ne dis pas d’embaucher pour le poste de comptable ou de RH, mais son/sa collègue auxiliaire de vie, parce qu’il/elle va sentir la personne, parce qu’il/elle connaît la tournée, sait chez qui la recrue va aller, si ça peut fonctionner ou non… alors que le responsable de secteur, depuis son bureau, il n’a pas cette relation là avec les bénéficiaires, en les voyant une à deux fois par an pour la visite de contrôle, il ne peut pas déceler cela.
Il s’agit donc de redonner la main au gens du terrain pour ce qui les concerne directement au quotidien, et prioriser l’intelligence collective, le tout, dans une relation de confiance.
Je pousse aussi le curseur de partager les chiffres de l’entreprise avec toutes mes équipes. Dernièrement, je leur ai fait une présentation détaillée de l’année 2023, et j’ai annoncé le prévisionnel 2024, qui, si nous arrivons à le tenir, permettra de distribuer un tiers du résultat net aux équipes. Ça motive aussi.
Concrètement, c’est changer de paradigme dans la relation et l’organisation du travail ?
Oui tout à fait, mais je suis totalement alignée avec ça. Moi je viens du terrain, et souvent, dans les dans les organisations, quand ça ne va pas, on ne demande jamais aux gens de terrain. D’ailleurs, quand ça ne fonctionne pas, l’effet pervers est de rajouter des chefs !
Pour mettre en place ce fonctionnement, il a fallu former tous les responsables de l’entreprise : tu dois apprendre à rester en posture basse, à ne plus trouver la solution, mais à accompagner le collaborateur pour qu’il trouve sa propre solution. C’est là tout le changement de postulat et de paradigme.
En tant que responsable d’équipe, de structure, on connait tous cette situation : quelqu’un a un problème, il rentre dans ton bureau, il te passe le problème et c’est devenu le tien ! Avec le fonctionnement en équipe solidaire, si quelqu’un entre dans mon bureau et me dit voilà, j’ai tel problème, et bien je vais lui demander de quoi il a besoin pour le régler, qu’est-ce qu’il faut pour le solutionner. C’est responsabiliser tous les maillons de la chaine finalement.
Et pour l’anecdote, une fois la formation terminée, j’ai tous mes cadres qui sont partis, mes responsables de secteur, qui ont préféré démissionner, ne se retrouvant pas dans cette organisation… Les raisons étaient diverses, l’une parce que ne plus avoir de contrôle total ne lui convenait plus, l’autre parce qu’elle ne se retrouvait pas dans cette nouvelle forme de management, un autre parce qu’il voulait garder la main sur l’organisation des équipes, etc.
Donc repartir de zéro, ça a été chaud ! Mais je me suis accrochée dans cette idée, d’abord sur l’agence de Saint-Julien, ensuite à Limoges. Quand la responsable d’agence est partie de Saint-Julien, j’ai choisi de ne pas faire un recrutement, et de basculer en équipes autonomes, c’était plus gérable car j’avais 14 auxiliaires de vie. Et aujourd’hui, c’est que du bonheur.
Un exemple concret : un collaborateur est malade, impossible d’aller bosser le matin. Il contacte ses collègues sur le groupe de discussion dédié à son équipe, les prévient et envoie son planning du jour qu’il ne peut assurer. En moins de 10 minutes, le remplacement est traité. La solidarité est telle dans l’équipe, qu’ils s’organisent en interne pour se répartir les interventions. Ça va vite aussi car ils connaissent les bénéficiaires de la tournée, et parce que la relation de confiance entre tous fait que ça ne pose pas de difficultés.
Alors oui, comme dans toutes les relations, il y a des hauts et bas, ça ne va pas toujours bien, et il y a des points de frictions, voire des engueulades… Nous sommes tous des humains, avec des divergences d’opinion, mais ce n’est pas grave. Dans le cadre de ce changement de management, nous avons tous été formés en communication non-violente, on se parle donc avec bienveillance, on peut tout dire, verbaliser son ressenti, tant que c’est avec bienveillance.
Quel a été l’élément déclencheur à l’intégration de cette méthode de travail dans ta structure, à ces équipes solidaires ?
J’ai rencontré Antoine Blondel, qui s’est engagé dans cette démarche d’équipes autonomes il y a quelques années, et il a fait un film de sa transformation, qui s’appelle Métamorphose. Il a filmé toute la transformation de sa structure. Quand j’ai vu ce film, c’était une évidence pour moi ! Je buvais ses paroles, c’était du petit lait, c’est vers quoi je voulais tendre.
J’ai montré le film à mes équipes, j’étais toute contente, comme une petite gamine, “regardez c’est génial” ! Et ils m’ont regardé avec de grands yeux ronds “mais en fait on le fait déjà un peu chez nous”, ils ne voyaient pas trop où je voulais aller… Parce qu’il s’agit de pousser le curseur un peu plus loin que la seule proximité en équipe, ou la hiérarchie décloisonnée.
C’est ce film et cette rencontre qui ont été l’élément déclencheur à mon envie de transformation de l’entreprise. Je trouvais logique de redonner la main aux gens de terrain, tout simplement. Et puis après, c’est un petit peu comme un saut en parachute, t’y vas, t’y vas pas… Tu trouves… Tu te plantes un peu quand même…Tu travailles ça… tu te ramasses… Mais tu repars ensuite, fort de tes nouveaux enseignements. A présent, je ne reviendrai jamais en arrière, personne chez ADN n’a envie de revenir en arrière.
C’est à chaque structure de trouver la formule qui fonctionnera pour elle, tu as différents degrés dans cette transformation managériale. Le mot d’ordre, la base, c’est ta vision et tes valeurs.
La vision avec tes équipes : où est-ce qu’on est et où est-ce qu’on veut aller ? On est à domicile, on veut que les personnes soient bien prises en charge, et que cela soit compatible avec notre vie. OK, on est tous là pour la même cause finalement, pour que les personnes âgées soient bien chez elles et que ce soit aussi adapté à notre sphère personnelle. Personne ne veut passer de sa vie au boulot, à faire des horaires coupés trois fois par jour !
Donc nous sommes parties de là avec mes équipes, de nos valeurs et de notre vision des choses, il faut qu’elles soient partagées, c’est la BASE. Pour que les équipes autonomes / solidaires fonctionnent, c’est, comme son nom l’indique, un travail d’équipe. Tu ne peux pas envoyer les gens en formation, et leur dire “maintenant, débrouillez-vous” !
Depuis combien de temps as-tu mis cette gestion managériale en équipes autonomes / solidaires ?
Sur Saint-Julien, ça va faire 3 ans. Du côté de Limoges, nous avons commencé en même temps, mais vu que mes encadrants ont lâché prise en cours de route, il a fallu tout recommencer… Je dirai que cela fait un peu plus d’un an que nous y sommes bien engagés à présent.
As-tu suivi une formation dédiée, ou bénéficié d’un accompagnement quelconque ? Si oui, dans quel domaine ?
Oui, avec le collectif L’HUMAIN D’ABORD. Il y a un parcours de 6 ou 7 jours, avec un accompagnement par le groupe, composé d’une cinquantaine de dirigeants qui ont transformé leurs structures. C’est toute la puissance du collectif, basée sur la solidarité et l’entraide. Et cela rassemble des structures d’aide à la personne de tous horizons : public, privé, associatif, entreprise. Quand tu fais partie du collectif, tu te nourris des expériences de chacun.
Pour compléter, on a aussi fait une formation de coach pour les encadrants, qui dure 8 jours je crois, où tu apprends la posture basse, la communication non-violente, à communiquer autrement, etc.
Enfin, il y a une formation plus courte à destination des gens de terrain, les auxiliaires de vie, de comment évoluer en équipe autonome, pour les aider à déterminer le rôle de chacun. Mais franchement, cette formation n’est pas la plus utile, parce que ceux qui sont les plus difficiles à embarquer avec toi, c’est les responsables secteur. Les auxiliaires de vie adhèrent facilement au projet, parce que c’est leur donner la parole finalement.
Penses-tu que cette méthode de travail est adaptable à toutes les organisations ? A toutes les personnes ? D‘ailleurs tu as eu des déconvenues toi avec tes responsables du secteur.
Pour le secteur médico-social dans lequel j’évolue, je ne sais pas si c’est la bonne méthode, mais je suis sûre d’une chose, c’est que nos organisations doivent changer, parce que sinon, on va tous dans le mur !
Entre les problèmes de recrutement, les problèmes de sens au travail, de reconnaissance du travail, d’équilibre personnel / professionnel, la pyramide des âges qui nous rattrape etc. En l’état, dans nos organisations, ce n’est franchement pas réjouissant, pour ne pas dire autre chose ! Il faut changer quelque chose, on ne peut plus travailler comme on le faisait avant, notre société a évolué, et nous devons évoluer avec.
Les équipes autonomes / solidaires, c’est une tentative d’évolution. Ce qui me convient avec cette organisation, c’est que chaque structure peut adapter le modèle à sa sauce, et donner différents degrés d’autonomie. Il n’y a rien de figé dans le marbre, ni règle uniforme que nous devons tous suivre, c’est totalement modulable. Rien que moi, à Saint Julien et à Limoges, je n’ai pas reproduit les choses à l’identique.
C’est le travail du collaboratif qui va nous aider à avancer, et c’est tellement logique en fait quand tu y penses. En fait, tu demandes simplement aux agents de terrain, aux auxiliaires de vie, de s’impliquer, et c’est parfaitement dans leur rôle. On leur confie déjà des responsabilités importantes, ces personnes doivent veiller aux besoins de personnes âgées, handicapées, fragiles, malades. C’est l’évidence même de poursuivre la confiance !
Pour les angoissés du juridique comme moi, en pratique, comment sont bordées les choses (qui est responsable et comment) ?
Oui, les choses sont bordées, dans un degré de connaissances accessibles. Très concrètement, tu ne donnes pas le Code du travail à tes auxiliaires de vie en leur demandant de se débrouiller, ni même la convention collective ! Personne n’y comprend rien, moi non plus d’ailleurs !
Non, nous avons fait quelque chose de très simple, nous avons déterminé un cadre qui doit être compris de tout le monde. On est partenaire d’un club de Handball à Limoges, donc j’ai dessiné un terrain de hand, et dans ce cadre, il y a quatre thèmes à respecter impérativement :
- Respecter le souhait du bénéficiaire : les demandes exprimées et fixées dans le contrat, ou l’évolution des demandes liées à ses changements de situation. La personne qui veut être couchées à 23 heures sera couchée à 23h, la personne chez qui il faut aller tous les jours pour préparer le repas, etc.
- Respecter la législation du travail : pour que ce soit plus facile, nous avons fait des petites fiches récapitulatives sur les éléments de bases (repos hebdomadaires, amplitude maximale de travail, repos quotidien, un weekend sur deux, etc.).
- Respecter le modèle économique : parce qu’il faut bien ménager un équilibre pour ne pas foncer dans le mur !
- Être force de propositions : tu as le droit d’être en désaccord, mais alors OK qu’est-ce que tu proposes ?
Donc quand tu as construit ton cadre, tu construis ensemble à l’intérieur, et tu fais tes propres règles. Ainsi, quand tu sors du cadre, moi je reprends ma petite casquette de chef d’entreprise et c’est carton rouge ! S’il y en a un, par exemple, qui fait tous les week-ends et un autre qui ne les fait jamais, tu ne respectes pas la législation du travail. Ou encore, nous pratiquons la modulation du temps de travail, et si dans l’équipe il y en a qui sont à plus 50 heures et d’autres qui sont à moins 50 heures, c’est le modèle économique qui n’est pas respecté.
Si tu es à cheval sur la réglementation, le cadre fixe les choses, tout simplement. Et ces règles sont comprises et intégrées par tous les collaborateurs. Tout nous ramène au cadre !
Autre exemple pour mes équipes, à l’intérieur du cadre, elles fixent leurs propres règles. Il y a notamment un responsable des entretiens d’embauche et d’intégration, ce rôle peut être attribué à une personne dans l’équipe, ou être tournant, l’équipe s’en organise. Idem pour le rôle d’évaluation des bénéficiaires au domicile, il y a un membre de l’équipe qui accompagne l’encadrant, et l’équipe détermine qui.
Également, nous avons fixé dans le cadre que pour un entretien d’embauche, le temps rémunéré pour y participer était de 45 minutes. Ou encore pour la modulation du temps de travail, il y a toujours les mêmes personnes qui acceptaient de faire les remplacements, et pas les autres, donc nous avons déterminé que l’on déclenche les heures supplémentaires mensuellement quand tout le monde a son compteur d’heures en positif. Tout ça, c’est aussi respecter le modèle économique.
Le cadre ramène toujours aux fondamentaux.
Aujourd’hui, qu’estimes-tu avoir gagné avec la mise en place des équipes autonomes ?
Je suis alignée ! Je pense que, dans l’âme, je ne suis pas quelqu’un de très pyramidal, information descendante et compagnie… C’est donc un alignement vis-à-vis de mes valeurs.
J’ai aussi gagné en compétitivité et en temps. Le fait d’être en équipe autonome / solidaire, me donne une plus-value RH importante : à poste équivalent, les candidats préfèrent venir travailler avec moi ! Le marché du travail dans notre secteur est tellement tendu, que c’est un gain de compétitivité très important.
Tu gagnes en reconnaissance pour tes équipes. Les auxiliaires de vie gagnent en légitimité, elles échangent avec les infirmiers, les médecins, les autres intervenant professionnels. Elles ne sont pas que des exécutantes de basse besogne, elles jouent un rôle clé dans le quotidien des bénéficiaires. C’est ce gain en reconnaissance le plus important, pour moi, ça n’a pas de prix.
Quelle a été ta plus grosse erreur dans cette évolution de travail ? Et quels enseignements en as-tu tiré ?
Je ne sais pas si c’est une erreur, mais j’ai eu beaucoup de mal à me positionner. J’ai impulsé ce projet, les équipes sont parties en formation, et ensuite, je les ai laissés faire, au lieu de les guider. Cela a eu pour conséquence de mettre beaucoup plus de temps que j’aurais souhaité.
Par exemple quand ils ont créé leurs équipes solidaires à Saint Julien, chacun voulait garder ses bénéficiaires, avec tout l’affect qu’il pouvait y avoir autour. Pour moi, ce n’était pas la bonne solution, il fallait un peu rationnaliser les choses, pour organiser des tournées plus cohérentes, mais je n’ai pas voulu m’immiscer. Je savais ce qu’il fallait faire, que leurs choix n’allaient pas marcher, mais je n’ai pas voulu imposer la solution, j’ai trop attendu, et arrive un moment ça a vraiment coincé !
Donc oui, pour moi, c’est le positionnement qui a été difficile. Quand tu es leader, que tu as l’habitude de prendre des décisions en deux minutes, l’habitude d’être dans l’action… Eh bien c’est difficile de laisser faire, et les équipes ont quand même besoin d’accompagnement, soit reprendre la main, mais ce n’est pas l’esprit des équipes autonomes / solidaires. Et parfois, je me suis plantée ! Pour certaines équipes, j’aurais dû les accompagner davantage, et pour d’autres j’étais trop présente. Il faut trouver le juste milieu, car les équipes gardent ce besoin d’avoir un leader qui impulse le mouvement. C’est ça mon erreur également, d’avoir pensais que tout roulait, alors qu’il y avait ce besoin d’impulsion.
A contrario, qu’elle a été ta plus grande réussite ?
Ma plus grande réussite, c’est la satisfaction de mes collaborateurs. La cohésion et la solidarité entre eux, la légitimité acquise auprès des autres professionnels du domicile, la fierté de réaliser un travail qui a du sens, de se sentir utile socialement.
Qu’est-ce qui a été le plus difficile à concilier pour mener à bien ce changement ?
C’est ce que je te disais à l’instant, d’arriver à se positionner soi-même. Ne pas trop de pas être trop là, mais quand même un peu ! C’est difficile, surtout quand c’est ta boîte, c’est ton bébé, que tu as créé de A à Z, que tu as toujours été là…
Et au milieu de tout cela, toi, où te vois-tu dans 10 ans ?
J’aimerais bien dupliquer le modèle d’ADN partout en France, en fait. Mais bon, dans 10 ans, je serai presqu’à la retraite, je ne sais pas si j’aurais l’énergie de me lancer dans ce projet !
J’aimerai tellement, lorsque ce sera mon tour de raccrocher, que mes collaborateurs reprennent la boîte. Cela ferait sens pour moi, de transmettre à ceux qui sont l’Adn d’ADN87 !
CATHY MEUNIER : INSPIRATION
Quelle est ton héroïne dans l’Histoire, et pourquoi ?
Je dirai une héroïne de fiction, Wonder Woman, qui va au bout des choses et qui sauve les personnes pour des causes qui lui sont justes.
Quelle faute t’inspire le plus d’indulgence ?
Je pense que je suis indulgente sur toutes les fautes, à partir du moment où son auteur la reconnait, et soit sincère dans son effort évidemment. C’est un peu l’idée de la “faute avouée à moitié pardonnée” !
J’ai beaucoup d’indulgence, mais j’attends de l’honnêteté et de la sincérité. Je ne supporte pas le mensonge.
As-tu un mantra / une devise / un dicton / une citation qui te motive ou qui te guide ?
Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.
Que dirais-tu à la femme que tu étais il y a quelques années, avant d’amorcer ce changement de vie professionnelle ?
Olala…T’en as bien fait des conneries, ah ah ah !
Plus sérieusement, maintenant que j’arrive peu à peu à me débarrasser de mon syndrome de l’imposteur, je me suis d’ailleurs fait coacher pour ça, je dirais que je peux être fière de moi, que je n’ai pas de regrets à avoir. Ce n’est pas parce que ton parcours scolaire est cabossé que tu ne pourras faire quelque chose de ta vie !
Je n’ai qu’un regret, que mon père m’ait connu cancre à l’école, et qu’il n’ait pas pu voir mon évolution de vie ! Mon père était gendarme, donc militaire. Il y a peu de temps, on m’a remis la médaille de l’ordre national du Mérite. Personnellement, je ne suis pas du tout attaché à cette symbolique, mais je l’ai accepté pour lui, car ça aurait fait sens pour lui.
Quelle est LA chanson qui te motive quand tu as le moral dans les chaussettes ?
Tu ne dois pas connaitre, c’est une chanson d’un petit groupe que j’aime bien, les paroles me parlent… C’est HK & les Saltimbanks “Rallumeurs d’étoiles”
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Initialement, je me suis rapprochée de Cathy pour parler des équipes autonomes, parce que ce mode de management me questionne, parce qu’il me semble à la fois si évident et si opposé à ce qui m’a été enseigné… Je suis juridico-formatée !
Et puis finalement, notre entretien a pris une toute autre tournure, et nous partageons bien des valeurs communes.
Merci pour cette échange Cathy.